Dr Nicolas Kluger
Dermatologue
Montpellier
Le Henné est utilisé depuis des siècles pour l'ornementation corporelle par diverses civilisations, principalement en Asie du sud ouest (Inde, Sri Lanka), en Afrique du nord (Maghreb), dans la corne de l'Afrique et au Moyen-Orient. Depuis la fin des années 90, les tatouages temporaires au Henné sont devenus une mode auprès de occidentaux en période estivale sur les lieux de vacances.
Si le risque d’allergie au henné traditionnel est considéré comme rare et négligeable, l’ajout de produits chimiques divers aux produits traditionnels est responsable tous les ans de réactions de contact parfois potentiellement graves.
Le terme « henné » correspond au nom arabe du Lawsonia inermis et Lawsonia alba (famille des Lythracae), arbuste poussant dans les zones tropicales et subtropicales semi-arides, en Inde, en Afrique du nord et sur les rives orientales de la Méditerranée. Cet arbuste épineux produit une molécule de couleur bordeaux, le lawsone. Cette molécule est extraite des feuilles de henné et préparée sous forme de pâte pour être appliquée sur la peau en utilisant un pinceau ou un cône en plastique. Il ne s’agit donc pas d’un « tatouage » au sens propre du terme puisque le pigment reste appliqué superficiellement. La zone dessinée est ensuite enveloppée dans un tissu ou un film de plastique (cellophane) pour créer et maintenir un milieu chaud et humide. Une fois l’enveloppement et la pâte retirés, le motif apparaît orange mais ce dernier vire à l’auburn ou rouge/marron dans les trois jours suivants. Il existe un très grand nombre de « recettes » mélangeant la poudre de henné avec différents ingrédients. Le dessin disparaît en moyenne en trois à quatre semaines selon le renouvellement de l’épiderme. La qualité du henné, les divers composants de la pâte, la qualité de peau de la personne et le délai d’application de la pâte jouent un rôle sur la durée de vie du tatouage.
Une popularité grandissante
La popularité actuelle du tatouage « éphémère »au henné réside dans sa facilité d’application, son caractère temporaire et totalement indolore, l’absence de soins après application et son innocuité. Il n’existe aucun risque infectieux et les réactions allergiques au henné sont extrêmement rares. Quelques cas de réactions cutanées de contact et d’allergie immédiate (urticaire, rhinite, signes respiratoires) ont été rapportés au lawsone. Cependant, le potentiel de sensibilisation – et donc d’allergie – au henné est considéré comme négligeable.
Le tatouage temporaire offre donc des avantages indéniables pour toute personne désireuse d’arborer une ornementation corporelle sans les « inconvénients » des tatouages permanents (douleur, caractère permanent, regret au long cours, refus parental…). Ceci explique également que ce sont les plus jeunes qui soient attirés par cette pratique. De plus, aucune compétence ou talent n’est requis par l’artiste pour appliquer ces tatouages car ils peuvent être appliqués avec des pochoirs.
Pourtant, depuis quelques années, des cas de réactions plus ou moins sévères sont régulièrement rapportés. Comment expliquer qu’une pratique ancienne bien tolérée jusqu’à présent puisse soudain être à l’origine d’un si grand nombre de cas de dermatites de contact ? Le principal « inconvénient » du henné naturel est le long délai d’application nécessaire pour obtenir le maintien du dessin sur la peau. Le henné naturel donne une teinte orangée sur la peau moins appréciée qu’un teinte noire corbeau. Les artistes de rue des stations touristiques utilisent du « henné noir » (black henna tattoo). Un tel henné « noir » n’existe pas naturellement. Pour obtenir cette teinte, des ingrédients sont ajoutés dont principalement la paraphénylèdiamine (ou PPD). La PPD présente plusieurs avantages quand elle est ajoutée au henné : (i) un tatouage plus noir, (ii) une accélération du processus, qui ne met alors que quelques minutes à deux heures, et (iii) une augmentation de la durée de vie du tatouage. Ainsi, des lots commerciaux de henné noir peuvent contenir de la PPD alors même que le composé actif du henné naturel est parfois totalement absent.
La paraphénylènediamine : un puissant sensibilisant
La PPD est un puissant sensibilisant responsable de dermatites de contact allergiques et plus exceptionnellement de réactions d’hypersensibilité immédiate (urticaire, angio-oedème, choc anaphylactoïde). Par ailleurs, les individus allergiques à la PPD peuvent être également sensibles à d’autres produits apparentés sur le plan structurel comme les colorants textiles et des médicaments. La survenue d’un eczéma de contact est corrélée au temps de contact et à la concentration de PPD. De plus, l’ajout fréquent d’autres ingrédients mentionnés précédemment pour améliorer la pénétration de la substance, réduire le temps d’application et intensifier la couleur, l’utilisation de solvants organiques pour dissoudre la PPD et la mise sous occlusion en milieu humide contribueraient à augmenter les propriétés sensibilisantes de la PPD..
La dermatite de contact se caractérise le plus souvent par une éruption cutanée faite des papules (« boutons » en relief) et de vésicules (« cloques d’eau » avec un contenu clair) avec une sensation de démangeaisons. L’éruption est parfois douloureuse, invalidante, s’acccompagnant d’un œdème très important de la zone inflammée. L’éruption est strictement localisée au site du tatouage, de sévérité variable mais pouvant aller jusqu’à de véritables bulles. Très rarement, des signes généraux voire une mise en jeu du pronostic vital ont été rapportés. L’éruption survient en moyenne dans les sept à quinze jours après application du tatouage, mais la PPD est tellement puissante qu’elle peut entraîner une réaction dans les 48 à 72 heures en l’absence de sensibilisation préalable.
Au long cours peuvent persister des cicatrices hypertrophiques/chéloïdes voire des troubles de la pigmentation, parfois (hyper- ou hypopigmentation) dessinant « en négatif » le tatouage temporaire. Enfin, la sensibilisation à la PPD s’accompagne de sensibilisations de contact à divers produits (teintures capillaires, colorants textiles…). Des explorations allergologiques, à distance de l’épisode aigu, sont indispensables pour évaluer l’état de sensibilisation.
Le contrôle du circuit de distribution des produits et des lieux de réalisation des tatouages est difficile (plage, marché). La PPD est réservée en cosmétique aux teintures capillaires aux Etats-Unis et en Europe. La législation américaine et européenne interdit l’importation de tatouages temporaires qui ne sont pas conformes (présence de PPD ; absence de composition des ingrédients).
Conclusion
Le tatouage au henné offre une alternative très attractive aux tatouages permanents aux jeunes en période estivale, le caractère « temporaire » donnant une fausse impression de sécurité. Le consommateur doit être au courant des risques aigus et chroniques encourus par l’application de henné noir sur la peau. Il faut éviter de faire réaliser un tatouage au henné chez un artiste qui vous propose 1) un tatouage au henné noir, 2) un tatouage au henné qui sera appliqué « rapidement », en quelques minutes ou moins de quelques heures et/ou 3) un tatouage temporaire qui va durer « plus longtemps que la normale ».
En l’absence de législation, la prévention passe essentiellement par une information régulière annuelle du grand public notamment des jeunes adultes et des parents avant la période estivale, à l’image du communiqué de presse annuel de l’Affsaps.